Alors que la Haute Autorité de santé recommande une prise en charge kinésithérapeutique dans les 24 heures suivant une entorse de cheville, une enquête publiée la même semaine par l’Ordre des kinésithérapeutes révèle des délais d’attente largement incompatibles avec cette exigence. L’occasion pour les chiropracteurs d’observer les écarts entre les recommandations nationales et la réalité de terrain d’une profession voisine.
Le 15 mai 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) publie une recommandation sur la prise en charge des entorses du ligament collatéral latéral de cheville. On peut y lire qu’« après un traumatisme en torsion de cheville entraînant douleur, œdème ou limitation fonctionnelle, toute personne devrait consulter un médecin généraliste ou un masseur-kinésithérapeute exerçant dans le cadre de l’accès direct ou d’un protocole de coopération — idéalement dans les 24 heures ».
L’accent est mis sur la précocité de la rééducation, dans une logique de prévention des séquelles fonctionnelles. L’accès direct aux kinésithérapeutes est cité comme une voie pertinente, bien qu’encore très encadrée par l’expérimentation. En apparence, un progrès.
Or, ironie du calendrier : la même semaine, le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes publie les résultats de sa grande enquête 2024 sur les conditions d’exercice de la profession. Et les données révèlent une tout autre temporalité. Parmi les répondants exerçant en libéral (85 % de l’échantillon), 60 % signalent une liste d’attente, avec un délai médian de 21 jours pour un premier rendez-vous. Ce délai grimpe à 43 jours en zones rurales à habitat très dispersé.
Autrement dit, sauf à disposer d’un passe-droit ou d’un réseau personnel bien huilé, le patient victime d’une entorse devra prendre son mal en patience… trois à six semaines. L’accès en 24 heures devient ici une recommandation théorique, difficilement applicable à l’échelle du système.
L’enquête apporte un éclairage précieux sur cette tension d’accès. En moyenne, les kinésithérapeutes libéraux déclarent 81 séances planifiées par semaine, 50 heures de soins conventionnés, pour environ 50 patients hebdomadaires. Dans ce contexte, la réactivité est mécaniquement limitée.
Par ailleurs, 57 % des praticiens déclarent une orientation préférentielle (musculo-squelettique, pelvi-périnéologie, etc.), mais cette spécialisation ne représente qu’une partie de leur activité (en moyenne 50,4 % pour la musculo-squelettique). En clair, même les plus orientés vers la rééducation orthopédique ne consacrent pas tout leur temps à ces pathologies, ce qui dilue encore l’offre spécifique.
L’exercice professionnel est également marqué par une diversification importante : 19 % des kinésithérapeutes déclarent une activité secondaire, qu’elle soit en lien avec la kinésithérapie (prévention, formation, bien-être) ou non. Certains cumulent même une troisième activité professionnelle, souvent ponctuelle mais révélatrice de logiques d’adaptation et de recherche de sens.
Pour les chiropracteurs, ces éléments constituent une grille de lecture précieuse : ils permettent de situer l’offre de soins concurrente dans son organisation réelle, ses tensions internes, et ses paradoxes.
Car il y a là une leçon plus large : entre la norme théorique et les conditions concrètes d’exercice, il y a souvent plus qu’un écart — il y a parfois un gouffre. Et c’est dans cet espace que d’autres professions de santé peuvent trouver toute leur place.